Arnaud Massy
 
LES DEBUTS D'ARNAUD MASSY
     
 

L'une des questions qui m'ont été le plus fréquemment posées au cours de ma longue carrière est celle de savoir comment je suis devenu un golfeur professionnel, à une époque où il existait en France un si petit nombre de parcours de golf.

En réalité, ma vocation fut simplement déterminée par l'heureux hasard qui fit que l'école que je fréquentais vers ma neuvième année était située tout près de l'endroit qu'allait occuper le parcours de Biarritz, le second en date après celui de Pau.

Je fus sans aucun doute un des premiers caddies admis à porter des clubs sur les nouveaux links, comme, quelques années auparavant, mon grand ami et rival Harry Vardon avait été le premier caddie dans l'île de Jersey. J'imaginais qu'il existait entre nous un autre point de similitude et que, comme je devais le faire plus tard, Harry délaissa vite l'école pour les links qui sur les jeunes garçons de notre âge, exerçaient une fascination que ne partageait guère l'instituteur, indigné de constater des vides de plus en plus nombreux dans les rangs de ses auditeurs habituels.

Comme c'est presque toujours le cas, les caddies de Biarritz ne tardèrent point à découvrir près du Golf Club une sorte de terrain vague où installer deux ou trois trous constituant leur parcours privé : et je dois reconnaître que notre habitude de jouer très jeunes entre nous des parties dont les enjeux atteignaient parfois la somme énorme de deux sous, contribua à développer chez certains ce vif désir de gagner qui constitue chez tout golfeur désireux de remporter de grands succès une indispensable qualité.

Comment nous pûmes nous procurer notre premier club (car à cette époque la possession d'un unique club représentait pour nous à peu près le summum de l'opulence) a toujours conservé pour moi quelque chose de mystérieux. Certains d'entre nous durent ramasser quelque part les débris d'une canne ayant jadis connu de meilleurs jours et la raccommodèrent de leur mieux par des moyens rudimentaires ; d'autres se contentèrent d'un morceau de bois affectant vaguement la forme d'une tête de driver au milieu duquel ils avaient percé un trou que traversait une branche plus ou moins droite cueillie dans une des haies voisines.

Quoi qu'il en fût, le hasard voulut que lorsque j'eus la chance de découvrir un beau jour l'objet de mes convoitises oublié dans quelque coin, c'était un vieux club ayant appartenu à l'un des rares gauchers fréquentant nos links à cette époque. Ce fut la raison pour laquelle, pendant toute la première partie de mon existence de golfeur, je m'obstinais à frapper la balle du mauvais côté, ainsi que l'alléguait un facétieux caddie de Saint Andrews. Ceci ne m'empêcha point d'ailleurs de réaliser assez rapidement de considérables progrès et d'être bientôt à même de tenir convenablement ma place dans une partie où je me trouvais opposé aux meilleurs joueurs que nous que nous avions chance de rencontrer sur nos links dans ce temps-là. J'eus même la satisfaction, lorsque le professeur du club n'était pas libre, d'être désigné par lui pour le remplacer dans quelques mémorables occasions.

C'est pendant une de ces parties que se produisit un événement qui devait exercer sur mon avenir une considérable influence. A la fin du match, au cours duquel je m'étais comme d'usage, appliqué à seconder de mon mieux mon partenaire, ce dernier, semblant particulièrement intéressé par mon jeu, me déclara qu'il était vraiment fâcheux qu'avec des dispositions comme les miennes, j'aie pris la mauvaise habitude de jouer à gauche, car il était sans exemple dans l'histoire du golf qu'un gaucher ait jamais remporté un championnat de quelque importance.

Assez rapidement, j'en arrivais à me convaincre que je m'ingéniais de la sorte à limiter d'une façon exagérée mes possibilités d'avenir : et le même soir, je brisais sur mon genou tous les clubs que je possédais alors et recommençais le lendemain ma carrière comme droitier.

 

 

 

 

 

 

Je dois admettre que pendant quelques semaines, ce changement fut nettement préjudiciable à mon jeu. Mais comme cet état de choses n'était point fait pour me plaire, je travaillais avec plus d'acharnement que jamais, de telle sorte qu'après un laps de temps relativement court, je pus renouveler comme droitier mes meilleures performances d'autrefois.

Vers cette époque, j'eus la chance de jouer fréquemment avec les membres de la famille Hambro, qui a tant fait pour le développement de Biarritz, et en particulier de son golf. Un jour que devant l'un d'eux, j'exprimais le regret de ne point pouvoir à Biarritz trouver aussi souvent que je l'aurais souhaité des matchs assez ardus pour me permettre de nouveaux progrès, il voulut bien me conseiller alors d'aller faire un stage en Ecosse, se chargeant de m'en faciliter les moyens. Je fus envoyé à North Berwick, où j'eus l'occasion de progresser considérablement dans cette atmosphère de golf qui rayonnait autour du regretté Ben Sayers. D'année en année, je pus constater dans mon jeu une amélioration constante ; elle me permit, après avoir été classé parmi les bons joueurs d'Angleterre pendant plusieurs années et gagné plusieurs compétitions ouvertes importantes, de réaliser enfin ce qui constitue la plus grande ambition que puisse formuler un golfer, c'est-à-dire de triompher dans le Championnat Open d'Angleterre. Ce fut en 1907 sur les links de Hoylake.

Cette victoire me fut incontestablement facilitée par l'expérience que j'avais pu acquérir pendant mes premières années de golf, quand je devais jouer à Biarritz les jours où le vent soufflait en tempête. Mon pays natal est d'ailleurs le seul lieu où j'ai souvenance d'avoir rencontré un vent aussi furieux que celui qui soufflait pour ce championnat d'Hoylake.

Quand je remportai ce succès, j'étais depuis plusieurs années attaché au Golf de la Boulie, et je conserve un souvenir reconnaissant aux membres de ce grand club parisien de m'avoir facilité tous les déplacements possibles où j'avais chance de rencontrer les meilleurs joueurs de cette époque. Quatre ans plus tard, j'avais de nouveau la chance de me classer premier dans le Championnat Open, mais cette fois j'étais en barrage avec Harry Vardon et je perdis quand nous rejouâmes le lendemain. A côté de ces deux succès remportés en Grande-Bretagne, j'ai eu aussi la bonne fortune de gagner le Championnat Omnium de France quatre fois. Mon dernier succès dans cette épreuve ne fut obtenu l'an passé qu'après un barrage à Chantilly avec Archie Compston. C'était la troisième fois de mon existence que dans un championnat open, je finissais à égalité avec un autre joueur. J'avais perdu dans les deux précédentes occasions, mais la troisième fois j'eus plus de chance et pris à Chantilly dès le premier tour une avance que mon adversaire ne put jamais rattraper par la suite.

Entre mes premiers matchs à Biarritz et les épreuves dans lesquelles j'ai figuré encore ce dernier été, il est passé beaucoup d'eau sous le pont. Si nous examinons d'abord ce qui s'est produit pour la balle de golf, nous constaterons une complète évolution.

J'ai fait mes débuts avec la balle pleine de gutta percha et je me souviens encore de l'obstination désespérante pour les néophytes avec laquelle cette balle,refusait le plus souvent de quitter le sol. La balle moderne possède plutôt le défaut contraire, car le problème consiste maintenant plutôt à l'empêcher de s'élever trop rapidement. La façon dont les parcours sont tracés est aussi différente et les bunkers barrant presque complètement les fairways ne sont plus guère qu'une exception, alors que presque toutes les difficultés se rencontrent maintenant de chaque côté des fairways ou aux environs immédiats du green. Personnellement je considère que les conditions actuelles du jeu ont beaucoup contribué à son développement :

Mais il me semble incontestable que tous les joueurs appartenant à ma génération, ayant, par conséquent, débuté au temps de la balle solide, ont dû s'entraîner à une école beaucoup plus sévère. A cette époque, la balle devait être frappés avec beaucoup plus de précision qu'aujourd'hui, sous peine d'obtenir les pires résultats. Non seulement une balle qui n'était pas touchée au milieu du club n'obtenait aucune distance, mais encore elle transmettait à celui qui l'avait traitée de la sorte un choc dans les bras et dans les poignets parfaitement désagréable.

 
ARNAUD MASSY - TENNIS ET GOLF (1926)

 

 

 


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