L'une des questions qui m'ont été
le plus fréquemment posées au cours de ma longue carrière
est celle de savoir comment je suis devenu un golfeur professionnel,
à une époque où il existait en France un si
petit nombre de parcours de golf.
En réalité, ma vocation
fut simplement déterminée par l'heureux hasard qui
fit que l'école que je fréquentais vers ma neuvième
année était située tout près de l'endroit
qu'allait occuper le parcours de Biarritz, le second en date après
celui de Pau.
Je fus sans aucun doute un des premiers
caddies admis à porter des clubs sur les nouveaux links,
comme, quelques années auparavant, mon grand ami et rival
Harry Vardon avait été le premier caddie dans l'île
de Jersey. J'imaginais qu'il existait entre nous un autre point
de similitude et que, comme je devais le faire plus tard, Harry
délaissa vite l'école pour les links qui sur les jeunes
garçons de notre âge, exerçaient une fascination
que ne partageait guère l'instituteur, indigné de
constater des vides de plus en plus nombreux dans les rangs de ses
auditeurs habituels.
Comme c'est presque toujours le cas,
les caddies de Biarritz ne tardèrent point à découvrir
près du Golf Club une sorte de terrain vague où installer
deux ou trois trous constituant leur parcours privé : et
je dois reconnaître que notre habitude de jouer très
jeunes entre nous des parties dont les enjeux atteignaient parfois
la somme énorme de deux sous, contribua à développer
chez certains ce vif désir de gagner qui constitue chez tout
golfeur désireux de remporter de grands succès une
indispensable qualité.
Comment nous pûmes nous procurer
notre premier club (car à cette époque la possession
d'un unique club représentait pour nous à peu près
le summum de l'opulence) a toujours conservé pour moi quelque
chose de mystérieux. Certains d'entre nous durent ramasser
quelque part les débris d'une canne ayant jadis connu de
meilleurs jours et la raccommodèrent de leur mieux par des
moyens rudimentaires ; d'autres se contentèrent d'un morceau
de bois affectant vaguement la forme d'une tête de driver
au milieu duquel ils avaient percé un trou que traversait
une branche plus ou moins droite cueillie dans une des haies voisines.
Quoi qu'il en fût, le hasard voulut
que lorsque j'eus la chance de découvrir un beau jour l'objet
de mes convoitises oublié dans quelque coin, c'était
un vieux club ayant appartenu à l'un des rares gauchers fréquentant
nos links à cette époque. Ce fut la raison pour laquelle,
pendant toute la première partie de mon existence de golfeur,
je m'obstinais à frapper la balle du mauvais côté,
ainsi que l'alléguait un facétieux caddie de Saint
Andrews. Ceci ne m'empêcha point d'ailleurs de réaliser
assez rapidement de considérables progrès et d'être
bientôt à même de tenir convenablement ma place
dans une partie où je me trouvais opposé aux meilleurs
joueurs que nous que nous avions chance de rencontrer sur nos links
dans ce temps-là. J'eus même la satisfaction, lorsque
le professeur du club n'était pas libre, d'être désigné
par lui pour le remplacer dans quelques mémorables occasions.
C'est pendant une de ces parties que
se produisit un événement qui devait exercer sur mon
avenir une considérable influence. A la fin du match, au
cours duquel je m'étais comme d'usage, appliqué à
seconder de mon mieux mon partenaire, ce dernier, semblant particulièrement
intéressé par mon jeu, me déclara qu'il était
vraiment fâcheux qu'avec des dispositions comme les miennes,
j'aie pris la mauvaise habitude de jouer à gauche, car il
était sans exemple dans l'histoire du golf qu'un gaucher
ait jamais remporté un championnat de quelque importance.
Assez rapidement, j'en arrivais à
me convaincre que je m'ingéniais de la sorte à limiter
d'une façon exagérée mes possibilités
d'avenir : et le même soir, je brisais sur mon genou tous
les clubs que je possédais alors et recommençais le
lendemain ma carrière comme droitier.
Je dois admettre que pendant quelques
semaines, ce changement fut nettement préjudiciable à
mon jeu. Mais comme cet état de choses n'était point
fait pour me plaire, je travaillais avec plus d'acharnement que
jamais, de telle sorte qu'après un laps de temps relativement
court, je pus renouveler comme droitier mes meilleures performances
d'autrefois.
Vers cette époque, j'eus la chance
de jouer fréquemment avec les membres de la famille Hambro,
qui a tant fait pour le développement de Biarritz, et en
particulier de son golf. Un jour que devant l'un d'eux, j'exprimais
le regret de ne point pouvoir à Biarritz trouver aussi souvent
que je l'aurais souhaité des matchs assez ardus pour me permettre
de nouveaux progrès, il voulut bien me conseiller alors d'aller
faire un stage en Ecosse, se chargeant de m'en faciliter les moyens.
Je fus envoyé à North Berwick, où j'eus l'occasion
de progresser considérablement dans cette atmosphère
de golf qui rayonnait autour du regretté Ben Sayers. D'année
en année, je pus constater dans mon jeu une amélioration
constante ; elle me permit, après avoir été
classé parmi les bons joueurs d'Angleterre pendant plusieurs
années et gagné plusieurs compétitions ouvertes
importantes, de réaliser enfin ce qui constitue la plus grande
ambition que puisse formuler un golfer, c'est-à-dire de triompher
dans le Championnat Open d'Angleterre. Ce fut en 1907 sur les links
de Hoylake.
Cette victoire me fut incontestablement
facilitée par l'expérience que j'avais pu acquérir
pendant mes premières années de golf, quand je devais
jouer à Biarritz les jours où le vent soufflait en
tempête. Mon pays natal est d'ailleurs le seul lieu où
j'ai souvenance d'avoir rencontré un vent aussi furieux que
celui qui soufflait pour ce championnat d'Hoylake.
Quand je remportai ce succès,
j'étais depuis plusieurs années attaché au
Golf de la Boulie, et je conserve un souvenir reconnaissant aux
membres de ce grand club parisien de m'avoir facilité tous
les déplacements possibles où j'avais chance de rencontrer
les meilleurs joueurs de cette époque. Quatre ans plus tard,
j'avais de nouveau la chance de me classer premier dans le Championnat
Open, mais cette fois j'étais en barrage avec Harry Vardon
et je perdis quand nous rejouâmes le lendemain. A côté
de ces deux succès remportés en Grande-Bretagne, j'ai
eu aussi la bonne fortune de gagner le Championnat Omnium de France
quatre fois. Mon dernier succès dans cette épreuve
ne fut obtenu l'an passé qu'après un barrage à
Chantilly avec Archie Compston. C'était la troisième
fois de mon existence que dans un championnat open, je finissais
à égalité avec un autre joueur. J'avais perdu
dans les deux précédentes occasions, mais la troisième
fois j'eus plus de chance et pris à Chantilly dès
le premier tour une avance que mon adversaire ne put jamais rattraper
par la suite.
Entre mes premiers matchs à Biarritz
et les épreuves dans lesquelles j'ai figuré encore
ce dernier été, il est passé beaucoup d'eau
sous le pont. Si nous examinons d'abord ce qui s'est produit pour
la balle de golf, nous constaterons une complète évolution.
J'ai fait mes débuts avec la
balle pleine de gutta percha et je me souviens encore de l'obstination
désespérante pour les néophytes avec laquelle
cette balle,refusait le plus souvent de quitter le sol. La balle
moderne possède plutôt le défaut contraire,
car le problème consiste maintenant plutôt à
l'empêcher de s'élever trop rapidement. La façon
dont les parcours sont tracés est aussi différente
et les bunkers barrant presque complètement les fairways
ne sont plus guère qu'une exception, alors que presque toutes
les difficultés se rencontrent maintenant de chaque côté
des fairways ou aux environs immédiats du green. Personnellement
je considère que les conditions actuelles du jeu ont beaucoup
contribué à son développement :
Mais il me semble incontestable que
tous les joueurs appartenant à ma génération,
ayant, par conséquent, débuté au temps de la
balle solide, ont dû s'entraîner à une école
beaucoup plus sévère. A cette époque, la balle
devait être frappés avec beaucoup plus de précision
qu'aujourd'hui, sous peine d'obtenir les pires résultats.
Non seulement une balle qui n'était pas touchée au
milieu du club n'obtenait aucune distance, mais encore elle transmettait
à celui qui l'avait traitée de la sorte un choc dans
les bras et dans les poignets parfaitement désagréable.
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