De Par en Par
 
.
 
 

PORTRAIT D'UN VAINQUEUR, MISTER LU
par Denis Lalanne

 
Lorsque, l'an dernier, sur l'estrade dressée près du green du 18, au Golf municipal de Biarritz, Lu Liang Huan, Roberto de Vicenzo, David Graham, Peter Thomson, Ramon Sota et autres champions de haute lignée se présentèrent pour recevoir leurs prix, j'ai pensé qu'un sacré bon bout de chemin avait été accompli depuis ce jour de 1967 où, rassemblés autour de MM. Guy Petit, Raymond Barbas, René Lacoste, une minorité de bons apôtres de Biarritz et de Saint-Jean-de-Luz avaient décidé de doter la Côte Basque d'une épreuv de golf à retentissement international. Quatre ans après, nous y étions. L'Omnium de la Côte Basque avait préparé le terrain à un Open de France qui sentait bon les pins et l'océan, les vacances réussies, le grand jeu révélé à une foule de curieux, les champions lointains à la découverte des tendres parcours basques.

 

Et non seulement la grande presse parisienne et londonienne était là, avec la télévision, pour porter loin l'écho de pareille réussite. Mais surtout on pouvait lire, dans une multitude de regards qui s'accrochaient encore aux greens soudaint depeuplés, le rgret que cette fête de quatre jours fût déjà terminée. J'étais moi-même en compagnie de deux célébrités du rugby, encore sous le charme d'une véritable révélation, et lorsque Lu Liang Huanse leva pour recevoir son prix, je les vis spontanément lui adresser l'un de ces bravos qu'on ne réserve qu'aux champions qui font battre les coeurs.

Personnellement, je ne suis jamais tout à fait heureux lorsque Roberto de Vicenzo est battu et il est vrai que seulement un putting empoisonné venait ici de priver ce champion exemplaire d'une victoire à sa mesure. Mais il faut dire que rien mieux que le double succès populaire et sportif remporté par le Formosan Lu Liang Huan ne pouvait conspirer à l'enchantement de l'épreuve et au prestige de son palmarès.

Présenté comme une curiosité et tout bronzé de sa retentissante bagarre avec Lee Trevino au British Open, l'énigmatique Lu Liang Huan est reparti de Biarritz en laissant beaucoup de sympathies derrière lui. En quatre jours, il avait fait la conquête des profanes et des connaisseurs de la Côte Basque, tous pareillement accrochés à son chapeau de paille, pour ne pas dire à ses basques !

       
     
     
     
     
     
     
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En fait de grippe asiatique, ce fut plutôt une coqueluche. Son sourire et ses mines, cette exquise courtoisie qu'il promène avec lui, l'insaisissable talent qu'il y a dans le swing le plus lent du monde, baigné dans l'huile et retrempé dans la sagesse de Confucius, ce sang-froid de reptile et ce caractère d'une autre race : cette panoplie hors-série et ce fluide magique nous valurent notamment, sur les 18 derniers trous de Biarritz, un conflit pathétique avec la rigueur toute australienne et la grande force intérieure de David Graham, tenant d''un titre arraché, l'année précédente, sur le dernier trou de Chantaco, à Molina et Garaïalde.

 



Il y a, en effet, des accidents de parcours - des " crevaisons ", comme les appelle plaisamment Jean Garaïalde - qu'un champion de sang britannique digère avec sa force de caractère mais qui sur Lu Liang Huan, semblent glisser comme la pluie sur le plumage des canards. Ainsi allait-il ressusciter d'un premier tour catastrophique (71 à Biarritz, par 69) par deux exploits retentissants dans les deux tours suivants (63 à La Nivelle, 62 à Biarritz). Ainsi allait-il préserver la victoire finale dans un dernier tour à Biarritz, bouclé en 66, en dépit de deux incidents, qui eussent mis à cran tout autre joueur que lui. Deux approches trop longues sur deux par quatre apparemment sans problème, l'une au 7, l'autre au 13, égarèrent sa balle, un fois dans un buis de clôture, l'autre fois dans le sabot d'une spectatrice qui s'était déchaussée. Les deux fois, il s'en tira par des pirouettes géniales, exaspérantes pour Graham qui lui livrait là une sorte de match-play. La première fois, il concéda seulement le point de pénalité. La seconde fois, il sauva aisément son 4 en prévenant toutefois le public : " Attention ! Cette sacrée balle pourrait encore tomber dans la poche de l'un d'entre vous ! ".

On ne cultive pas mieux son personnage, on ne suscite pas mieux le coup de foudre que ce vainqueur surgi de quelque conte pour enfants, de quelque légende asiatique, et qui avait pris soin, de surcroît, d'apprendre deux mots de français à l'intention de son public : " Mair-çi-bô-couh...".

Merci, Lu, et ramenez-nous souvent sur les greens ce rire jaune qui, pour une fois, est un rire heureux.

Denis Lalanne


     
   


.